Le christ selon l’Afrique, de Calixthe Beyala

Avec tact, et une bonne dose de dérision, Calixthe Beyala dresse dans ce roman un tableau sans concession de la vie de son pays. Elle montre, sans se départir d’un certain sourire, le quotidien de ses compatriotes, leurs difficultés à vivre dans un pays qui toujours se cherche, ou les extrêmes se côtoient, ou la réussite est aussi éclatante que peut l’être la pauvreté. Dans ce roman, on devine l’écart se creusant entre la tradition, colonne vertébrale de l’Afrique,  et l’envie de modernité bien légitime de chacun. Ce n’est pas un tableau noir : l’Afrique a des ressources insoupçonnables dans l’art de la débrouille, puis les prophètes de tous bords veillent à canaliser leurs ouailles… Les gens savent se souder pour avoir la chance de glaner les miettes de la réussite de l’un d’entre eux.

Ce roman est un régal de lecture, tour à tour drôle ou consternant, il dépeint une Afrique comme on a du mal à l’imaginer vu de l’Europe. Les relations familiales y sont fort bien décrites : notamment l’enfant assurance retraite s’il réussi, quel qu’en soit le prix pour lui. Il y a également les religions de tous poils, voire les plus loufoques, tant pour justifier la misère que pour la conjurer, croire qu’un Dieu d’un clin d’œil peut encore inverser le cours d’un destin qui n’en fini pas de tenter de se relever.

4ème de couverture

Boréale n’a que vingt ans mais des problèmes à revendre, entre un amoureux infidèle, une patronne dépressive, une tante qui veut lui faire porter son enfant et une mère qui la dénigre constamment. Dans ce quartier populaire de Douala où elle habite, on s’enthousiasme comme on déteste, selon le dernier tribun qui a parlé, et des tribuns il y en a à tous les carrefours, des prophètes surtout qui hypnotisent la foule par leurs prières, leurs transes et leurs promesses mirifiques, attirant chaque jour davantage de croyants. Boréale, elle, ne croit en rien et ne veut obéir à personne. Mais en a-t-elle la liberté ?
Dans cette chronique savoureuse de la rue africaine, Calixthe Beyala, Grand Prix de l’Académie française pour Les honneurs perdus, poursuit avec sa verve inimitable une œuvre littéraire inclassable, célébrée et étudiée dans de nombreux pays.

Extrait

Une chaleur moite enveloppait les hommes et les bêtes ; le soleil brûlait la terre et l’asphalte fondait comme du chocolat jeté sur le feu. Au centre-ville, les riches après avoir prié le Christ rédempteur s’étaient agglutinés dans les maquis-bars climatisés pour y faire des affaires. Les pauvres priaient Dieu et lui demandaient de leur donner la force de rivaliser avec les riches dans les affaires. Au bord des routes, les vieilles transpiraient ce qui leur restait d’énergie pour avoir aussi leur part. Elles vendaient du riz à la tasse, des cacahuètes à la boîte, du sucre en morceaux tout en songeant au jour où, par la grâce du Seigneur, elles auraient un plan d’arnaque à grand échelle. Quant aux jeunes, beaucoup étaient à l’école pour s’y armer des connaissances qui leur permettraient de faire des affaires en escroquant quelques abrutis, alléluia, amen ! Au fond, nous vivions une guerre civile larvée pour le contrôle des reliquats du bien-être mondial. Nous étions si avides que notre légendaire solidarité avait explosé. Six nouveaux mots apparurent dans notre vocabulaire : «Chacun pour soi, Dieu pour tous.» Certains prétendaient que c’était Yam le pousse-pousseur qui le premier les avait vociférés, on ignorait pourquoi; d’autres affirmaient qu’ils étaient échappés des écrits d’un écrivain fou qui avait osé défier Dieu en créant des personnages à qui le Seigneur lui-même n’avait pas jugé utile de donner corps.
James Owona, sûr de son aura de qui avait fait le trajet Douala-Paris avant d’être refoulé aux frontières, crut bon de combattre notre individualisme qu’il qualifiait de fléau destructeur de notre civilisation. Il revêtit son costard prince-de-galles, s’étrangla le gosier d’une large cravate, loua un haut-parleur et se cloua au carrefour des Trois-Morts :
– Camerounais, Camerounaises, enfants chéris de la Patrie, commença-t-il. C’est la dictature de l’Impérialisme à travers la télévision qui a semé le cancer de l’égoïsme dans vos cerveaux ! «Chacun pour soi», ça veut dire quoi, hein ? Réfléchissez, putain ! En plus vous passez vos journées à prier ! Dieu n’a jamais rien fait pour personne, bande de connards !
J’avais pris le sentier boueux qui sillonnait le quartier pour aller travailler chez Sylvie. Je vivais ici à Kassalafam où les maisons de bric et de broc étaient à tel point superposées les unes aux autres qu’elles vous obligeaient à traverser salons et cuisines des voisins, pour accéder à la rue. C’était un grand foutoir, l’antichambre du codéveloppement. Mes concitoyens attendaient vaguement la démocratie afin de profiter de la croissance économique et des droits de l’homme, les mots magiques du bonheur pour tous.
Un peu de l’auteur

Née au Cameroun, Calixthe Beyala poursuit une œuvre littéraire inclassable, traduite et étudiée dans de nombreux pays.
Grand prix de l’Académie française en 1996 pour Les honneurs perdus, elle a publié de nombreux romans dont, La plantation en 2005 ou Le roman de Pauline, en 2009. Tous chez Albin Michel.


L’écrivain Calixthe Beyala revient sur la littérature de l’Afrique francophone, sur la langue française et sur la francophonie dans l’émission 7 jours sur la planète sur TV5MONDE.
http://tv5monde.com/7jours

Photo source : http://aflit.arts.uwa.edu.au/BeyalaCalixthe.html

Détails sur le produit

  • Broché: 272 pages
  • Editeur : Editions Albin Michel (26 février 2014)
  • Collection : LITT.GENERALE
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2226256016
  • ISBN-13: 978-2226256010
  • Dimensions du produit: 20 x 14,2 x 2,8 cm

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A propos Jérôme Cayla

Chroniqueur littéraire, lecteur, auteur de deux romans : Mathilde et Trois roses blanches. Je travaille habituellement avec les services presse des maisons d'éditions Me contacter par Mail sur contact Presse pour les livres en services de presse.
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