Le bain et la douche froide, par Mélanie Richoz

Un recueil de nouvelles aux relents de remords : ce sentiment désagréable qui vous tient, murmure à l’oreille qu’on aurait dû, qu’on aurait pu mieux faire, oser prendre le risque afin de maîtriser enfin son destin. Chaque renonciation est une goutte d’eau, qui, au long des jours devient douche glacée. On aura bon dos de se promettre de ne pas y revenir, l’impudence n’est pas toujours un sentiment bien domestiqué.

Dans ce recueil, c’est l’impression ressentie à chaque manque d’audace qui prédomine et, vu du côté féminin : cela prend évidemment des proportions énormes. Ça débute doucement, de façon fugace, puis, le détail enfle pour devenir insupportable. La perception de la victime la change en monstre affreux se tapissant en lui-même, ou la pousse à exacerber sa honte avec cynisme, par provocation, pour l’exorciser de sa conscience.

Indirectement, c’est aussi une manière habile de placer le doigt sur les petites erreurs de notre comportement, pour l’image renvoyée au regard des autres. Chaque nouvelle à des senteurs d’avertissement sur ce que l’on peut faire, sur les limites à s’imposer avant de dire une parole risquant de blesser, ou quoi que ce soit pouvant être mal interprété. En effet, l’équivoque générée par un malentendu peut prendre des dimensions dantesques en pourrissant la vie de ceux qui en sont victimes. La nouvelle se prête fort bien à cet exercice délicat de la valse du sentiment : la liberté des uns ne s’arrête-t-elle pas là où commence celle des autres ?

Mélanie Richoz domine parfaitement sont sujet dans ce recueil de 24 nouvelles aux sentiments partagés, entre la honte et le dégout de soi, par la faute d’un regard ne sachant se faire altruiste.

Extrait

Mademoiselle Jupenlair

Papa est chauffeur de poids lourd. Maman, vendeuse. «Avec CFC ?», lui a demandé sèchement la dame. Maman a acquiescé d’un timide hochement de tête et la dame a tracé une petite croix dans une case prévue à cet effet sur un document qu’elle recouvre d’annotations illisibles.

Papa ne voulait pas d’une femme qui balance du cul en ville et qui excite les mâles en rut; alors à ma naissance, il y a onze ans, elle a laissé tomber la vente et s’est consacrée à son foyer, à nous. Jusqu’à l’année dernière, elle faisait le ménage, la lessive, la vaisselle et les courses. Sur le petit meuble à l’entrée, il y avait toujours un bouquet de fleurs fraîchement cueillies qui parfumait le corridor. Mais plus maintenant. Maintenant, le vase est vide, sale et vide, elle dort jusqu’à midi et pleure le reste de la journée.

À moi, ça ne me pose pas de problème majeur, je me débrouille très bien toute seule. Le matin, sur la table étoilée de miettes et de soleils collants dessinés par les culs de bouteilles de la veille, je nous prépare le petit déjeuner, à Prisca et moi : un bol de céréales avec du lait, c’est pas sorcier. Et le soir, pareil.
Ça me déboulonne quand même le coeur de partir à l’école sans la voir, sans l’embrasser. J’arrive pas à m’y habituer. Avant, c’était pas comme ça. L’amour de maman sentait le chocolat chaud et les tartines au miel.
Je peux pas la réveiller, parce que quand elle dort, elle a l’air bien. En paix. Le sommeil gomme ses traits tristesse, et ses paupières en boucliers la protègent de la réalité. Je me dis que peut-être elle rêve à de belles choses. Et ça me donne le courage de m’en aller. Sur la pointe des pieds. En répétant à Prisca de se dépêcher, d’attacher ses chaussures, de remonter la fermeture Éclair de sa veste, de ne pas oublier son goûter, de fermer son sac à dos, de chu-cho-ter-s’il-te-plaît-et-de-ne-pas-claquer-la-porte. Les petites soeurs, ça s’en fiche des autres, ça ne pense qu’à rire et jouer. Ça n’a pas de souci.

Parfois, j’ai peur de ne plus jamais la revoir, de rentrer de l’école et qu’elle soit partie, ou morte.
Je l’aime, maman.
Elle nous aime aussi. Bien qu’elle ne sache plus nous le montrer, je sens son amour. Fragile. Fendu comme un verre brisé qui tient encore en un morceau, et qui pourrait éclater et nous blesser. J’ai besoin d’elle,
j’ai besoin qu’elle m’explique la vie de femme; ça me tracasse, ce sang qui devrait bientôt s’écouler d’entre mes cuisses. J’ai besoin qu’elle m’en parle même si je sais qu’elle le fera pas.
Elle parle pas, maman.
Elle a l’art du silence.

4ème de couverture

«Elle fait des va-et-vient le long de la petite plage, sans pouvoir s’arrêter. Elle essaie de rester calme.
Elle est eau, elle est douceur.
Mais rage à l’intérieur. Torrent.
Pendant que sa voix sourit dans le combiné, pendant que sa voix d’ingénue ment, elle pleure.»

 (source site de l’auteur)

Un peu de l’auteur

Après ses deux premiers romans, Tourterelle (2012) et Mue (2013), parus aux Editions Slatkine, Mélanie Richoz publie Le Bain et la Douche froide, un recueil de vingt-quatre nouvelles cruelles d’humanité.

Site de l’auteur : http://melanierichoz.wordpress.com/

Son mail : melanierichoz@yahoo.fr

Crédit photo : Jean-Luc Cramatte (source site de l’auteur)

Bibliographie

(source site de l’auteur)

Livres

Je croyais que, texte : M. Richoz / illustrations : Y. Vanderauwera, Ed. Slatkine, 2010

Tourterelle (roman), Ed. Slatkine, 2012

Mue (roman), Ed. Slatkine, Bourse d’encouragement à la création littéraire du canton de Fribourg 2011-12, 2013

Le bain et la douche froide (nouvelles), Ed. Slatkine, mars 2014

Collectifs

Les Barbus de la Gruyère, M. Rouiller / P. Rebetez, Ed. de L’Hèbe, 2012

Le Dos de la Cuiller (nouvelles érotiques), Ed. Paulette,  2013

Web 

Chroniqueuse sur les Quotidiennes

Blog personnel : www.melanierichoz.wordpress.com

Blog en collaboration avec Barroux (illustrateur) pour la création du POINT DU i

Théâtre

Croquant, Craquant, 2007

Machine à Croire, Prix de la meilleure pièce et prix du public à www.friscenes.ch, 2009

Chansons

Jeune con, A : M. Richoz / T. Romanens; C : A. Gfeller / T. Romanens / G. Gfeller, 2007

Si j’étais un courant d’air, A : M. Richoz; C, I : Lia, 2010

Comme une libellule, A : M. Richoz; C, I : Lia, 2010

Un modèle, A : M. Richoz; C, I : L. Delort, 2010

Asphalte, A : M. Richoz/ F. Donzé; C, I : Lia, 2012

Spectacle musical

Il était une fois (comédie musicale), Les Choeurs des Ecoles de Villeneuve, A, C (chansons et musique) : A.-L. Yersin / T. Haller, A (narration) : M. Richoz, 2010

Courts-métrages

(Sans nom), Prix du public au Tourné-Monté de Châtel-St-Denis, Coréalisation : M. Richoz / Y. Neveu, 2009

Prix et distinctions

Jeune con (nouvelle), texte primé au concours de lettres d’amour organisé par L’Echandole à Yverdon, 2007

Le Bruit des Clefs (nouvelle), texte lauréat à un concours pour insomniaques, www.nuitdecriture.com, 2007

Le chat et la souris (chronique), primé et publié par la Ferme des Jeux à Vaux-Le-Pénil (France), 2008

Les deux p’tits marins (chronique), primé et publié par Les Femmes qui écrivent avec les Loups (France), 2008

Un plus un (nouvelle), texte sélectionné au Grand Prix du Pastiche organisé par le Magazine Littéraire, 2009

(Sans nom) (court-métrage), Prix du public au Tourné-Monté de Châtel-St-Denis, Coréalisation : M. Richoz / Y. Neveu, 2009

Machine à Croire (pièce de théâtre), Prix de la meilleure pièce et prix du public à www.friscenes.ch, 2009

Vainqueur du tournoi de haïkus au festival de Slam 2.0, Lausanne, 2012

Mue (roman), Ed. Slatkine, Bourse d’encouragement à la création littéraire du canton de Fribourg 2011-12, 2013

Vainqueur du tournoi de haïkus de la slaam.ch, Lausanne, 2013

Contact de l’éditeur :slatkine@slatkine.com

Détail du produit

  • Broché: 104 pages
  • Editeur : Editions Slatkine (28 mars 2014)
  • Collection : ROMAN
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2832106013
  • ISBN-13: 978-2832106013
  • Dimensions du produit: 19,8 x 11 x 1,4 cm

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A propos Jérôme Cayla

Chroniqueur littéraire, lecteur, auteur de deux romans : Mathilde et Trois roses blanches. Je travaille habituellement avec les services presse des maisons d'éditions Me contacter par Mail sur contact Presse pour les livres en services de presse.
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